Pour vivre cette aventure existentielle, choisissez dans votre langue un mot ou une expression que vous comprenez, qui se trouve être d’usage courant, mais que vous n’employez jamais, que d’ailleurs vous ne vous imagineriez pas employer aisément, et qui de préférence jure avec votre goût et vos habitudes linguistiques.
L’aventure sera d’autant plus intéressante que le mot (ou l’expression) sera sociologiquement et psychologiquement éloigné de votre zone de confort. Il ne sera pas forcément facile de trouver le mot (ou l’expression) adéquat, et le choix idéal dépend des habitudes de chacun. A titre d’exemple toutefois, l’auteur de ces lignes parle volontiers de « voiture », et parfois de « caisse », mais n’emploiera jamais « bagnole » ou « automobile » (qui feront donc l’affaire). Il évoque avec joie les frigos ou les réfrigérateurs, mais le terme de « frigidaire » n’a jamais franchi ses lèvres sans sarcasme. Il répondra un aimable « de rien » à un « merci » qu’on lui adresse, mais n’osera jamais aventurer un « je t’en prie », encore moins un « c’est moi qui vous remercie » de démarcheur téléphonique. Il traitera un importun de « malpoli » ou « d’abruti », mais délaissera le vieilli « goujat » – pour ne rien dire de l’oublié « malotru ». Il se fendra d’un « mince » ou d’un « merde » face à une mauvaise surprise, mais ne songera pas à employer « vindieu » ni « bordel de bite ».
Une fois que vous aurez identifié le mot ou l’expression qui convient, l’aventure sera simple : elle consistera à l’employer d’une manière systématique durant un mois (NDLR: une semaine dans le cadre du BDM). Du jour au lendemain, concentrez-vous afin d’intégrer ce mot à votre vocabulaire et à vos usages. Soyez naturel ! Personne autour de vous ne doit s’apercevoir de votre décision.
Au bout d’un mois (NDLR: une semaine), constatez. Avez-vous réussi à intégrer cet ajout délibéré et arbitraire à vos habitudes linguistiques ? Cette excroissance bizarre, qui jure avec le reste de votre personnalité verbale, fait-elle maintenant partie de vous ?
Examinez. Le mot (ou l’expression) en question a-t-il été repris par des membres de votre entourage ? S’est-il répandu comme une traînée de poudre, prouvant ainsi votre capacité prescriptive et le suivisme de vos amis, ou bien s’est-il maintenu en vous comme dans un isolat linguistique ? Vous a-t-il valu des remarques ? De l’intérêt ? Des rires ? Du mépris ?
Introspectez. Que désirez-vous faire de ce nouveau mot? Voulez-vous vous en débarrasser, comme d’un vêtement inconfortable qu’on ne rêve que d’abandonner ? En avez- vous honte, comme d’un élément hétérogène qui dépareille votre belle cohérence discursive ? Le chérissez-vous au contraire, comme une exotique cerise verbale sur votre gâteau sémantique ?